[Débat] Arbitrage : réalité et perspectives

De gauche à droite : Philippe Hinschberger, David Terrier, Sylvain Marchal, Georges Ramos, Joel Quiniou, Philippe Doucet

 

Mercredi 30 mars, le lycée Robert Schumann de Metz organisait un débat sur l’arbitrage en France. A la manette à défaut de palette, Philippe Doucet, journaliste à Canal +, était entouré de plusieurs personnalités du foot ; Carlo Molinari et Philippe Hinschberger, les anciens et néo consultants David Terrier et Sylvain Marchal, et les ex arbitres internationaux, Georges Ramos et Joël Quiniou.

 

L’emblématique Président du FC Metz est le premier à prendre la parole, saluant tour à tour les invités sur l’estrade, et rappelant avec bonheur les faits d’arme des uns et des autres. Il ne manque pas de souhaiter « la plus belle des carrières » aux jeunes joueurs du pôle football du lycée Schumann, venus écouter les sages propos de leurs aînés. Et Carlo Molinari de leur rappeler « la nécessité du travail, de l’écoute et de l’humilité pour y parvenir ».

Doit-on professionnaliser les arbitres ?*

Joël Quiniou : « La professionnalisation existe. Un arbitre pro ne peut avoir deux occupations. Aujourd’hui, on suit essentiellement les arbitres d’élite, que l’on retrouve chaque semaine sur les terrains du championnat. Mais la France est un peu à la ramasse par rapport aux autres pays européens. On prend la mesure mais il y a un retard notable. C’est surtout un problème de personne. On arbitre en fonction de sa personnalité. L’aspect humain a été laissé de côté, aseptisé. On a dévié en s’arc-boutant vers l’autoritarisme. Oui à la professionnalisation mais attention aux éventuels inconvénients. »

Georges Ramos : « La DTNA (ndlr : Direction Technique Nationale de l’Arbitrage) fait le maximum pour combler le retard, mais quand on dit pro ça veut dire beaucoup de choses, et il faut analyser tous les paramètres. J’ai peur d’une chose essentiellement, que les joueurs, les dirigeants et l’ensemble des acteurs autour disent « vous mangez dans la même assiette que nous ». C’est une crainte qu’il ne faut pas négliger. »

Philippe Hinschberger : « Le débat n’est pas là, les arbitres sont pro dans leur préparation. Mais on est encore au Moyen-Age. L’arbitre seul « maître du temps », des avertissements notés sur papier, etc. ce n’est pas digne d’une professionnalisation mais d’un flagrant amateurisme. J’en ai parfois presque de la peine. C’est de l’archaïsme. Il y a un retard important par rapport aux autres sports collectifs. »

David Terrier : « L’arbitrage doit être pro, il faut aider les arbitres, donner la possibilité d’être un bon pro, notamment par le dialogue permanent avec les acteurs, joueurs comme staff). Aujourd’hui, les arbitres sont conditionnés à ne pas être dans l’échange. Ils doivent aussi écouter. »

Sylvain Marchal : « Le statut ne va pas conditionner les joueurs, ce n’est pas l’essentiel dans l’absolu. Il faut quel que soit le statut, du dialogue, de la compréhension réciproque, de l’explication. »

Comment expliquer la quasi absence d’arbitres français en compétition internationale ?

Joël Quiniou : « Les arbitres ont le niveau. Il y a trop de focalisation sur des instructions franco-françaises. On s’est crus meilleurs que les autres, c’est dommage. On a voulu aller trop loin, trop bien faire, trop de sévérité. Ce n’est pas la bonne direction. Si on use d’autorité, on perd son autorité. Mais les choses évoluent. La relève est de plus en plus assurée. Je pense à Clément Turpin qui va représenter l’abitrage français à l’Euro, c’est une locomotive. »

Georges Ramos : « Aujourd’hui, dans la nouvelle vague, il y a trois ténors, Turpin, Bastien et Buquet, et je place Bruno Bastien en numéro 1. Il y a de l’espoir. Ce n’est pas une question de niveau, c’est un tout. L’arbitrage français peut avoir ses lettres de noblesse. »

Philippe Hinschberger : « On ne pourrait pas faire un débat similaire dans dix ou quinze ans avec la même complicité. Avec Joel, Georges et les autres, nous avions une histoire commune, ce n’est plus le cas aujourd’hui. S’ils ne sont pas présents, c’est du à un manque de talent, point. L’arbitrage français est devenu illisible. Il y a trop de querelles. Certains font leur show mais les jeunes semblent avoir compris beaucoup de choses. »

Philippe Doucet : « Il faut préciser qu’il y a un fantasme sur les anciens joueurs qui souhaitent devenir arbitres. On entend tout le temps que ce serait la meilleure chose pour améliorer la position de l’arbitrage français à l’échelle européenne. Au final, il y en a peu, par exemple Jean-Marc Rodolphe, bien connu ici. »

David Terrier : « Le problème pour un joueur qui souhaite franchir le pas, c’est l’âge. Passer un certain âge, on ne peut plus être promu. Un footballeur pro va pouvoir devenir arbitre mais pas en faire un métier. C’est le serpent qui se mord la queue. »

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Ancien joueur de Bordeaux, Grenoble ou Laval, Jérémy Stinat est devenu à 37 ans, arbitre.

Peut-on encore parler aux arbitres ?

Philippe Hinschberger : « Moins qu’avant c’est une certitude. Personnellement, mon objectif est de ne pas leur parler, cela signifie aussi qu’il n’y a pas de problèmes. La sonorisation est une excellente chose. Je ne comprends pas qu’elle ne soit pas étendue, en dehors de la finale de la Coupe de la Ligue. On voit pourtant tout son bénéfice. L’arbitre est incroyablement serein, les joueurs polis, les discussions presque cordiales, c’est le jour et la nuit. »

Joël Quiniou : « Parler oui, rentrer dans le vestiaire, non, ce n’est pas une bonne chose. Les arbitres ont besoin d’évacuer la pression. Des joueurs, des membres du staff, des dirigeants manquent souvent de respect. »

David Terrier : « La DTNA ne doit pas inférer dans la gestion des cas post match. Sur le cas de Nabil Dirar (ndlr : exclu par M. Chapron lors de Monaco – Nice pour un geste d’intimidation), la DTNA a fait pression avec un communiqué en demandant une sanction particulièrement ferme à l’encontre du joueur monégasque. L’arbitre juge, la Ligue sanctionne derrière, ça doit s’arrêter là. »

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Nabil Dirar n’accepte pas la décision de Tony Chapron et s’emporte…

Sylvain Marchal : « L’influence des médias est énorme aujourd’hui. Avec toujours plus d’émissions dédiées au foot, il faut faire du remplissage. Du coup on dissèque véritablement les faits et gestes des arbitres, sous toutes les coutures. Parler avec les arbitres est devenu délicat car ils se savent épiés sur le moindre détail. »

Quelle utilisation pour la vidéo ?

Philippe Doucet : « On peut disserter des jours entiers. Toute la difficulté revient à lire l’image. Lorsque je commentais aux côtés de Gilles Veyssière, il avait toutes les peines du monde à clarifier une décision malgré tous les ralentis proposés. Ce n’est pas du tout la même chose, entre l’instantanéité de l’action et le jugement après-coup. Si c’est pour déplacer le problème sur l’arbitre chargé de visualiser sur écran, ça devient impossible. »

Joel Quiniou : « Cela ne règlera pas évidemment toutes les situations. La comparaison faite avec le rugby est impossible. Au rugby il y a des arrêts de jeu en permanence. On ne peut pas imaginer la même chose avec le foot. L’arbitrage est une question d’interprétation, il faut qu’il y ait toujours un libre-arbitre, pas un formatage virtuel. Il ne faut pas dénaturer le jeu. »

Philippe Hinschberger : « La vidéo pour valider un but uniquement. Tout le monde se perd avec toutes les imprécisions dans les règles, notamment dans la surface de réparation. Mais si c’est pour revenir sur l’action précédant l’action qui précède elle-même celle où il y a doute, on n’en sort plus, et ça ne ressemble plus à rien. »

https://www.youtube.com/watch?v=4WXL0A-uTps

Un cas précieux d’utilisation de la goal line technology… Ici le cas est tel qu’il est impossible à vitesse réelle pour l’arbitre de prendre une décision de visu.

 

*Le budget de la LFP lié à l’arbitrage est actuellement de 12 millions d’euros. Il tend à augmenter et devrait atteindre 16 à 18 millions d’ici quelques années.

La rémunération nette annuelle moyenne des arbitres de l’élite est de 65 000 euros.

https://www.fff.fr/actualites/157404-564321-classements-des-arbitres-de-ligue-1-ligue-2-et-national