Interview : Bertrand Antoine “A Metz, on transmet des valeurs de courage et de solidarité”

A 46 ans et après 16 ans au FC Metz, l’aventure commune entre le club et son formateur Bertrand Antoine s’est terminée il y a quelques semaines. Pour Socios FC Metz, l’entraîneur s’est longuement confié, sans détour. Toujours honnête et positif, Bertrand Antoine évoque tout : formation, relations avec Génération Foot, projet de jeu et valeurs messines.

T.M. : Bon, on commence directement par l’actualité, ce départ du FC Metz, vous pouvez nous en dire un peu plus ?

B.A. : Il y a eu pas mal de changements ces derniers temps avec l’arrivée de Sébastien Muet l’année dernière à la place d’Olivier Perrin. Sebastien Muet qui est parti cet été à Monaco et qui a donc été remplacé par Francis De Taddeo qui revenait au club. Le club m’a alors proposé de continuer ma mission sur un rôle que j’avais déjà eu dans le passé : adjoint des U17 Nationaux. C’est un rôle que j’avais déjà tenu pendant 3 ans avec Sylvain Marchal. Je ne me voyais pas repartir sur cette mission là donc le club a réfléchi et malheureusement n’a pas pu me proposer autre chose. Du coup l’histoire s’est arrêtée là d’une manière très cordiale et respectueuse. Les choses n’ont pas pu se faire mais il y a eu de l’écoute et de l’échange. 

T.M. : Pourquoi avoir refusé ce rôle ?

B.A. : Tout simplement parce que je l’avais déjà fait ! J’avais envie de voir et de faire autre chose. Dans ce métier, ce qui est intéressant c’est d’en voir les différentes facettes : je suis intervenu sur l’école de foot, la préformation, j’ai dirigé la préformation, j’ai été entraîneur des U17 Nationaux puis j’ai découvert un rôle d’adjoint avec Sylvain Marchal puis auprès de Laurent Agouazi cette année avec les U19 Nationaux. Je ne me voyais pas reprendre un rôle que j’avais déjà joué.

T.M. : Avez-vous perçu cette proposition comme une régression ?

B.A. : Non pas du tout. Si on m’avait proposé de continuer avec les U19 Nationaux je serais resté aussi parce que c’était nouveau. C’est plutôt d’avoir eu ce poste durant plusieurs années, et auprès du même coach (Sylvain Marchal, NDLR). Je ne voulais pas rentrer dans une routine. Le danger dans ce métier c’est d’être dans une routine parce qu’on est plus en éveil, plus en recherche de la perfection au quotidien. J’ai préféré être honnête et sincère, comme le FC Metz l’a été à mon égard, et cela s’est fait très cordialement et respectueusement.

T.M. : On a vu cette saison quelques tensions entre le centre de formation et Frédéric Antonetti, comment cela s’est goupillé en interne ?

Effectivement les propos nous ont interpellés, après au centre nous sommes concentrés sur notre travail. Il n’y a pas réellement eu de tensions plus que ça. Nous sommes restés concentrés sur nos objectifs, c’est-à-dire développer les joueurs en tant qu’homme et les aider à atteindre leur rêve de devenir footballeur professionnel, et de préférence au FC Metz. Il y a assez de travail là-dedans pour ne pas écouter ce qui se dit.

T.M. : Ces dernières saisons, le FC Metz a beaucoup plus fait jouer les jeunes de Génération Foot que ceux du centre, pensez-vous qu’il y a un modus operandi privilégié ?

B.A. : Ce qu’il faut savoir, c’est que Génération Foot fait pleinement partie du plan de formation du FC Metz, tout comme l’Académie de Seraing. Ces trois entités font partie d’un même plan. Si effectivement il y a eu plus de joueurs issus de Génération Foot qui ont été amenés à jouer en équipe première, c’est que tout simplement ils avaient plus de compétences dans le domaine selon le coach. Mais le foot est aussi une question de temps. Je vais prendre l’exemple de Gauthier Hein : il est né en 1996, des joueurs éclosent plus tard même si on aurait aimé qu’ils éclosent à Metz. C’est une question de temps et les garçons sont parfois matures plus tôt, parfois il leur faut un parcours un peu différent pour devenir des joueurs de Ligue 1.

T.M. : Avec Guillaume Dietsch qui repart à Seraing alors que le poste lui semblait promis, les formateurs n’ont-ils pas le sentiment que leur travail n’est pas reconnu par l’équipe première ?

B.A : Notre premier objectif pour nous, formateurs, c’est que ces gamins puissent accomplir leur rêve qui est de devenir joueur professionnel. Ensuite notre volonté à tous, et pour moi particulièrement qui suis un amoureux de St-Symphorien et supporter du club de longue date, c’est de les voir jouer à Metz sous le maillot grenat. Mais on ne se sent pas délaissés parce qu’on a totalement intégré la politique générale du club, qui inclut Génération Foot et Seraing, ce qui rend illégitime toute tension. On sait que les joueurs peuvent être issus de l’un comme de l’autre et on essaye simplement de faire notre métier au mieux. Il faut respecter les choix de la direction et des coachs, nous ne sommes pas là pour commenter mais avant tout agir sur le terrain.

T.M. : En 16 ans au FC Metz, qu’est-ce qui a changé dans la formation ?

B.A. : L’environnement des joueurs. Les joueurs parfois peuvent être déstabilisés parce qu’il y a beaucoup de gens autour d’eux, et parfois extérieurs au club. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose pour l’équilibre du joueur. Tout va trop vite aussi. Les jeunes jouent de plus en plus jeunes. Parfois, on a des garçons qui sont en sélections de jeunes, mais ce n’est pas parce qu’ils sont en Equipe de France qu’il faut faire tout de suite un contrat pro. Mais le football reflète juste la société. Tout le monde consomme rapidement, tout s’accélère. Nous on réfléchit à cela pour trouver les meilleures réponses, celles qui permettent aux joueurs d’être épanouis, et que le club ne se sente pas lésé par rapport à ça. Les jeunes ont de la chance de trouver un club qui va les recruter, les accompagner vers leur rêve et je pense que les parents peuvent parfois oublier ça.

T.M. : Vous avez été à la pointe de la formation avec le Senseball et le Cogitraining il y a quelques années, avez-vous constaté de réels progrès chez les jeunes grâce à cette méthode ?

B.A. : J’y ai vu un vrai intérêt oui. L’apport de Michel Bruyninckx et Dirk Gyselinckx a été une volonté du club et du président. Ils nous ont initiés à cette méthode que j’ai trouvé très intéressante et qui a amené un plus à la formation. Concernant le Senseball, c’est simplement un outil pédagogique de la méthode Cogitraining. Il permet de travailler sur la motricité, la coordination, la concentration pour que le joueur soit plus performant dans sa prise de décision. C’est le but du Cogitraining : vitesse d’exécution, prise de décision, mémoire, des choses importantes pour le footballeur de haut niveau. L’année où on l’a utilisée pleinement, c’était en 2015 lors de ma dernière année de préformation avec la Génération 2001 : on fait vice-champion de France UNSS, on gagne le titre de champion inter-régional et la coupe. En U17 l’année suivante avec la même génération, on gagne le tournoi de Quevilly en battant Monaco en finale. Je pense que les joueurs ont progressé et avancé dans l’entraînement, la concentration et l’esprit de groupe. J’y ai vu un vrai intérêt pour les jeunes et je continuerai de le développer. Aujourd’hui le Senseball est intégré au club de Séville, mais aussi au Japon, et au Mexique.

T.M. : De nombreux clubs adoptent la périodisation tactique commune à toute la formation, est-ce que transmettre une identité de jeu est l’un des objectifs des formateurs à Metz ?

B.A. : C’était la volonté d’Olivier Perrin dans son projet quand il est revenu de Dakar. Au niveau des équipes du centre de formation, la mise en place d’un 4-3-3 et des principes bien établis sur les sorties de balles, les animations offensives et défensives et les transitions pour donner une vraie identité messine. Sébastien Muet a pris ce relais ensuite mais il est rapidement parti à Monaco. J’imagine maintenant que Francis De Taddeo a aussi une vraie idée du projet de jeu qu’il veut mettre en place. Que ce soit par une périodisation tactique ou autre, l’important c’est qu’il y ait une vraie méthodologie qui soit propre au formateur mais aussi en adéquation avec le club. A Metz, on fait des choses différentes qu’à Bordeaux ou Rennes par exemple, on n’a ni les mêmes joueurs, ni la même histoire.

T.M. : Olivier Perrin parlait d’un 4-3-3 avec deux meneurs et d’un football positif pour la formation, c’est encore le cas ?

Sebastien Muet était dans la continuité de ce qu’a fait Olivier Perrin, mais il est parti au mois d’avril. Pour moi un projet, pour bien le mettre en place, il faut 2 voire 3 ans. La première année vous observez, la seconde vous mettez en place et la troisième vous rectifiez selon les axes à améliorer. Sébastien Muet n’a pas eu assez de temps pour mettre son projet en place. Je vais prendre l’exemple de l’équipe U19 de Laurent Agouazi : l’équipe était très jeune avec souvent beaucoup de U17 voire de U16 et l’équipe était quand même très positive et portée vers l’avant. C’était des garçons dans le projet depuis quelques années qui formaient l’équipe et qui ont bénéficié du travail mis en place par Olivier ou Sébastien. On a fini deuxième meilleure attaque du groupe et on a gagné plus de 50% de nos matchs pour arriver 3ème derrière nos voisins strasbourgeois et l’ogre lyonnais.

T.M. : Comment joue-t-on avec 2 numéros 10 alors que ce profil se fait de plus en plus rare chez les jeunes ? Le rôle de meneur est renvoyé vers d’autres profils ?

B.A. : Pour moi tout est une question d’animation. Quand vous jouez avec 2 numéro 10, il y en a toujours un qui va venir sur un poste de relayeur entre la sentinelle et l’autre numéro 10, et un créatif qui va alimenter et organiser le jeu un cran derrière l’attaquant. Le profil importe aussi : il y a des 10 qui vont plutôt avoir la volonté de se projeter vers l’avant et de chercher la profondeur et auquel cas ils vont moins toucher le ballon. Tout est une question d’animation et on s’adapte par rapport aux profils qu’on a en essayant de renforcer leurs points forts et de combler leurs lacunes. Et parfois avec ce 4-3-3, vous vous retrouvez dans l’animation avec un vrai 10, parce que le second avait décroché sur une base à 3 décalée et peut même redescendre un peu plus bas que la sentinelle sur un côté. Ce décalage sur le côté était même une spécialité de Laurent Agouazi cette saison, et c’était d’ailleurs également proposé par l’équipe A du FC Metz il y a quelques années avec Renaud Cohade qui le faisait souvent.

T.M. : Quelles sont les grandes idées et valeurs que le centre de formation du FC Metz essaye de transmettre à tous ses jeunes ?

B.A. : C’est assez ancestral, dans son ADN, le FC Metz prône des valeurs de courage, de solidarité, d’abnégation et ce sont des choses qu’on essaye d’inculquer dès le plus jeune âge, que ce soit à l’école de foot, à la préformation puis à la formation ensuite. Je pense que le football est une belle école de la vie. Tous ne seront pas joueurs professionnels et c’est important que les joueurs soient capables de s’accrocher dans les moments compliqués de leur vie. Qu’ils soient capables d’être respectueux d’un environnement de travail, des horaires, des collègues et c’est ce que le Football Club de Metz essaye de transmettre chez ses jeunes. On prépare surtout des hommes. Par exemple récemment, j’ai eu Romain Zewe -qui a fait sa préformation à Metz et que j’ai ensuite eu à Magny- qui a monté sa société de formation. Il est innovant et travailleur et c’est une vraie réussite extra-sportive pour lui. Et ça c’est tout aussi important pour les formateurs du FC Metz. On peut penser à transmettre l’héritage historique du club par exemple, l’envie de respecter les anciens et d’honorer ce maillot On essaye en tout cas. On est dans un football qui s’est mondialisé depuis quelques années. Moi j’ai 46 ans, quand j’étais jeune je ne voyais que le FC Metz, j’écoutais les matchs à la radio avec mon frère, on notait les buts. Le FC Metz c’était toute mon enfance et on ne supportait pas le Real, Chelsea ou la Juventus de Turin. Aujourd’hui l’époque a changé, il faut vivre avec son temps et avec la télé et internet on peut voir tous les championnats et tous les matchs. Les grands clubs font rêver les jeunes. Et donc à nous de faire rêver les jeunes du FC Metz et de créer ce sentiment d’appartenance, nous les éducateurs mais aussi des personnes comme Frédéric Schaeffler, responsable socio-éducatif ou bien Marjorie Even au niveau de la scolarité, qui travaillent au quotidien avec les jeunes. Par exemple avec Sylvain (Marchal), on avait mis en place un petit quizz avec des courses relais pour associer travail athlétique et connaissance du club. On avait aussi fait intervenir le président Molinari auprès des jeunes qui avaient préparé des questions pour mieux connaitre l’histoire du club. C’est vraiment important que les jeunes sachent qu’ils sont dans un grand club formateur, même s’il navigue entre la Ligue 1 et la Ligue 2, et leur faire aimer le FC Metz comme les supporters aiment le FC Metz.

T.M. : Metz va certainement attaquer la saison avec plusieurs joueurs made in FC Metz, vous en voyez un exploser cette saison en particulier ?

Alors je ne sais pas du tout si le coach Bölöni fera appel à ces joueurs là, cela dépendra grandement de l’effectif, des recrues et de ce qui se passera cet été mais j’espère grandement que certains pointeront le bout de leur nez. Je ne vais pas parler de garçons comme Lenny Lacroix ou William Mikelbrencis qui font déjà presque figure d’anciens dans le groupe. Je pense à un garçon comme Joseph Nduquidi qui a fait la reprise avec les pros. Il a bien évolué l’année dernière entre les U19 et la réserve où il s’est installé. Il a franchi un palier, il lui en reste encore quelques-uns mais c’est un garçon pour lequel on peut espérer de bonnes choses. En plus c’est un vrai mosellan, qui vient de Forbach, pur messin qui est au centre depuis la préformation. C’est aussi un super mec, qui est adorable, travailleur, humble et respectueux, il donne toujours le maximum à l’entraînement et il a de vraies qualités de box-to-box, de percussion, la perceuse comme il aime bien dire. Mais la priorité l’année prochaine, c’est surtout de remonter, avec des jeunes ce serait encore mieux mais il faut surtout remonter. Et du côté du centre de formation, qui est la prochaine pépite de la Plaine ? Alors là c’est une bonne question (rire). Il y a quelques années j’avais parlé de Vincent Thill, que j’avais côtoyé en préformation et je reste persuadé de son potentiel. Aujourd’hui, il a 22 ans et j’espère que dans quelques années on reparlera de lui. Il y a des garçons amenés à éclore plus tard, lui était annoncé plus tôt mais le passage du monde des jeunes aux séniors n’est pas simple et en particulier pour lui. Lui je l’avais annoncé comme la future pépite et je me rends compte que parfois on imagine des parcours grandioses, mais des Pjanic il n’y en a pas 10. Maintenant je reste plus prudent parce qu’il y a des garçons qu’on n’attendait pas, des garçons qui nous surprennent et développent des compétences qu’ils peuvent exprimer plus tard. Du côté du centre, le nom qui me vient en tête c’est Morgane Hiessler, qui était U17 et a aussi joué en Réserve. Je pense qu’il a quelque chose de spécial, mais y en a aussi plein d’autres qui me semblent tout aussi intéressants et qui pourraient le rattraper.

T.M. : Vous rejoignez l’APM où vous allez devenir le directeur sportif, pourquoi avoir choisi ce projet ?

B.A. : Parce qu’on m’a sollicité tout simplement. J’ai eu le président Damien Panel qui m’a fait part de son souhait et de son envie très tôt. L’APM c’est un club particulier pour moi car j’y ai joué et fait toute ma jeunesse de 12 à 22 ans, j’y ai joué avec mon frère et j’ai encore des amis aux clubs. L’APM m’a aussi fait passer mes premiers diplômes. Je suis un Messin de naissance et de cœur, tout était réuni pour que je puisse continuer ma passion dans un autre rôle que je vais découvrir. C’est un challenge qui est très intéressant dans un club sain, qui a la volonté de former des jeunes et de les faire monter en équipe première, qui est aussi partenaire du FC Metz dans le cadre du partenariat FC Metz Moselle. C’était tout naturel de revenir un jour, parfois les planètes sont alignées et je suis très heureux d’avoir donné mon accord.

T.M. : Comment on gère ce genre de poste au niveau amateur ?

B.A. : Je vous donne rendez-vous dans un an (rire). Déjà d’une, il y a toute la relation avec l’équipe technique, des U5 aux U65 avec le foot en marchant, j’aurais un œil sur tout le monde. Il y a vraiment un beau travail à faire avec eux, pour bien les connaitre, qu’ils se sentent bien, leur apporter mon expérience et qu’eux me nourrissent de leurs visions. Je ne vais pas arriver et imposer ma façon de faire, ils travaillent bien depuis des années je vais juste essayer d’amener humblement ma petite expérience dans le milieu du foot. Il y a aussi les sections sportives de l’APM à organiser avec toute une équipe. J’ai aussi peut-être des petites idées que je ne peux pas vous donner tout de suite mais il faut surtout que ce soit adapté au milieu amateur, on traite beaucoup d’homme à homme. La clé de la réussite elle est là, quand on met les gens au bon endroit, qu’on les traite bien, qu’ils ont de la reconnaissance ils vont se donner au maximum.

Propos recueilli et retranscris par Tanguy M.

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Crédit photo : FC Metz

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