Interview : Didier Lang : « Bernard Serin, je ne connais pas ce Monsieur »

Dans un long entretien, Didier Lang est revenu sur sa carrière pour socios-fcmetz.com, entre gloire de Coupe d’Europe, et fin de carrière amère.

M.M. : Comment arrives-tu au FC Metz ?

D.L. : A pied ! (rire) Je jouais à l’UL Plantières et j’ai été repéré par le sélectionneur du FC Metz. J’avais 14 ans, j’ai signé une licence amateur pour les Cadets Nationaux. Par la suite, je joue en troisième division à une époque, et j’étais le seul joueur à ne pas avoir de contrat professionnel au FC Metz. J’ai fait une Gambardella avec de très grands joueurs amenés à devenir professionnel, et j’ai été repéré comme ça, grâce à Jean-Claude qui m’a fait confiance. J’ai passé les échelons et je suis devenu professionnel.

M.M. : Joël Muller ne te connaissait pas du tout ?

D.L. : Joël Muller ne me connaissait pas du tout et à l’époque il passait du centre de formation à l’équipe première. L’année-là, on fait la Gambardella avec l’équipe et on arrive en demi-finale, je suis repéré et l’année suivante je fais la préparation avec l’équipe pro.

M.M. : A l’époque, tu arrives dans une belle équipe, comment as-tu réussi à faire ton trou ?

D.L. : Je ne pense pas avoir les qualités techniques d’un grand joueur, donc j’ai joué sur mes qualités : le physique, la volonté, l’abnégation. C’est une grande période du FC Metz, tous les ans on progresse, on joue avec presque les mêmes joueurs, mais il y a une telle osmose entre les joueurs que l’on extrait le maximum de la qualité de chaque joueur. A l’époque là, on prend du plaisir sur le terrain, et il y a une super ambiance dans le vestiaire.

M.M. : A partir de 1992, vous jouez les Coupes d’Europe, c’est la que tu te fais remarquer. Raconte-nous la confrontation face à Lisbonne ?

D.L. : On est en Coupe d’Europe, on tire le Sporting Lisbonne. Match avec une ambiance extraordinaire, et là c’est mon jour. Isaias ne joue pas, on est en concurrence pour les coups de pieds arrêtés et il est suspendu ou blessé. Premier corner, je le frappe et Amaraa Traoré le coupe au premier poteau et marque le premier. Quelques minutes après, coup-franc, j’enroule le ballon qui passe au-dessus du mur et je marque. On gagne 2-0 le match aller et tout s’enchaîne. Au match retour, on va aller, on perd (NDLR, défaite 2-1) mais la qualification est en main. On est dans un contexte où c’est un groupe de pote qui s’éclate.

M.M. : Quand tu vois arriver Robert Pirès, qu’est-ce que tu te dis ?

D.L. : Il faut savoir que Robert quand il arrive, je le prends sous mon aile. Je pense que grâce à moi, il fait son premier match en tant que titulaire au FC Metz. En fait, j’attrape une angine, et j’appelle Joël Muller pour lui dire que je suis malade. C’est Robert (Pirès) qui fait son premier match, et donc grâce à moi, il a débuté son premier match pro parce que j’étais malade le jour-là.

M.M. : En 1993, vous êtes 15-16ème alors que vous avez des grands joueurs. C’est à ce moment que Philippe Vercruysse arrive, comment s’est passé son arrivée ?

D.L. : Philippe (Vercruysse) arrive au mercato d’hiver et on voit arriver un mec qui a joué à Marseille, en Equipe de France, on voit arriver un Monsieur. Dès qu’il arrive, il prend toute la pression sur lui. Et il nous fait gagner des matchs. Et il était d’une simplicité, alors qu’il avait eu l’Equipe de France, etc… Je n’ai pas connu énormément de Monsieurs dans le football, lui en fait partie et il est très haut même.

M.M. : Tu penses que c’est grâce à lui que Robert Pirès a pu atteindre son meilleur niveau ?

D.L. : Oui, quelque part, oui. Quand il est arrivé, il a donné des challenges à Robert (Pirès), et il les a relevés en lui disant : « tu fais ce que t’as à faire, et moi je prends le reste ». Il a énormément contribué à sa réussite.

M.M. : Parlons d’un match qui nous a tous fait mal : Newcastle…

D.L. : Elle est pour moi celle-là. Le match aller je fais un grand match, je donne le but. Mais au match retour j’ai une occasion que je manque, encore maintenant c’est mon plus gros regret. Pourtant au match retour on les étouffe tout le match. On a des occasions : Robert (Pirès) se présente en un-contre-un, Amara Traoré en a une aussi, moi j’ai une balle de la tête ou je dois marquer, et je ne marque pas et c’est mon plus gros regret. A l’époque, les clubs anglais éliminaient toujours les clubs français, et sur le match-là, on a mangé les Anglais de la 1ère à la 85ème minute. On a les occasions, et moi notamment j’ai une tête à six mètres du but que je mets au-dessus. La soirée là, on doit les éliminer largement.

M.M. : En 1997, ton contrat arrivé à expiration, pourquoi tu choisis de quitter le FC Metz ?

D.L. : Je suis formé au club, cela fait des années que je suis là, j’ai envie et besoin de progresser, et j’ai un club qui me fait une proposition que je ne peux pas refuser financièrement. Le soir du match aller contre le Sporting de Lisbonne, mon père qui est taxi à l’époque a une course à l’All Day Inn hôtel au Technopôle et quand il prend son client, c’est Norton De Matos, qui est directeur technique du Sporting. Mon père, qui n’a pas sa langue dans sa poche, lui dit : « Mon fils joue ce soir contre votre club » et discute avec lui. Deux jours après le match, Norton De Matos a repris contact avec mon père, et mon père m’a appelé pour me donner son numéro de téléphone. Quelques jours plus tard, le Sporting m’envoie par fax une proposition de contrat. Quand je reçois cette proposition, je vais voir Joël Muller. Il prend la feuille que je lui donne et il me dit que je ne peux pas laisser passer ça. Après ceci, j’ai un rendez-vous dans un restaurant italien bien connu de Carlo Molinari, et ils me font une contre-proposition qui est malheureusement bien moindre que celle du Sporting.

M.M. : Quand Carlo voit la proposition du Sporting, qu’est-ce qu’il te dit ?

D.L. : Il comprend très vite qu’il ne pourra pas me retenir. Par contre, j’ai eu affaire à des gens géniaux. Joël Muller, c’est mon père spirituel au niveau du football, et Carlo Molinari, c’est mon père en tant que président.

M.M. : En 1996, tu joues tous les matchs mais en finale de la Coupe de la Ligue, tu te retrouves sur le banc. Pourquoi ?

D.L. : Ce sont des aléas dans le football. On accepte et on a un garçon qui s’appelle Patrick M’Boma, qui est prêté par le PSG et qui est un très grand joueur et qui est malheureusement blessé pendant la saison. Il revient pour cette finale de Coupe de la Ligue et c’est un choix tactique de Joël Muller. Joël Muller me prend à part et me dit « Didier, je sais que tu ne vas pas être content, tu mérites de jouer cette finale mais j’ai fait un choix tactique. Patrick est rétabli, je préfère jouer avec Patrick devant». A partir du moment où on était parti dans un choix tactique avec un deuxième attaquant, on ne peut plus faire autrement. Est-ce qu’avec moi on aurait quand même gagné la finale ? Je ne sais pas. Donc il n’y a pas de regrets à avoir. M.M. : Quand tu pars du FC Metz, et que l’année suivante ils sont vice-champion de France, tu ne te dis pas qu’avec toi on aurait pu être champion de France ? D.L. : Non, parce que je suis passé à autre chose et que je vis ma saison au Sporting. Je suis très content pour le club et très fier en tant que messin, mais je ne me dis pas que Metz aurait fait mieux avec moi.

M.M. : Là-bas tu fais une demi-saison où tu cartonnes, tu passes même sur Canal+, et ensuite on te voit plus…

D.L. : En Ligue des Champions, on était dans le groupe de Monaco, Leverkusen et Lierse. On gagne le premier match contre le Monaco de Henry, Trezéguet et Barthez. On gagne 3-0 et je fais 2 passes décisives le soir-là. On joue le match retour contre Monaco, on mène 2-0 à la 80ème minute mais on perd 3-2 le match. Pendant l’interview à Canal, on me demande une explication pour savoir comment on a explosé comme cela, et j’ai le malheur de critiquer notre niveau physique. Etant issu du FC Metz avec un entraîneur comme Joël Muller, je n’avais pas retrouvé le même niveau d’exigence physique au Portugal et je trouvais qu’on ne travaillait pas assez pour jouer 90 minutes. Et la dessus, le club a considéré que je critiquais le préparateur physique, et je me retrouve un peu en pestiféré. A ce moment, j’ai une porte de sortie pour l’Angleterre, je vais faire un essai d’une semaine, mais le coach du Sporting veut que je sois rentré le vendredi pour que je sois disponible pour le match du week-end. Quand je suis rentré, je n’ai pas été convoqué au match, donc le coach m’a pourri mon essai et je n’ai pas signé là-bas. D’ailleurs, cet entraîneur était arrivé en cours de saison et nous avait fait comprendre qu’il était Portugais, et qu’il ne ferait jouer que les Portugais. Donc il y avait Filip De Wilde dans les buts, Saber en défense, Yordanov, Hadji et j’en oublie certains, qui n’ont plus joué. Et donc là, il y a Sochaux qui m’appelle pour me faire venir.

M.M. : A Sochaux, tu penses te relancer mais malheureusement, ça ne se passe pas comme prévu…

D.L. : Le problème, c’est que j’arrive là et je me rends compte que c’est le président qui me voulait, et pas l’entraîneur. Faruk Hadžibegić, l’entraîneur, me fait comprendre que ce n’est pas lui qui me voulait, et je sais à quoi m’attendre. Mais au bout d’une dizaine de journées, Hadžibegić se fait virer et il se fait remplacer par Philippe Anziani. Et donc là je rejoue, mais on est vraiment dans le trou. La saison suivante, Troyes m’appelle et me propose de venir un an en prêt chez eux, avec Alain Perrin que je connais très bien et qui est sûrement un des meilleurs entraîneurs français de l’époque.

M.M. : A Troyes, comme cela se passe ?

D.L. : Je suis prêté un an par Sochaux. On se maintient avec une équipe qui n’a pas les qualités mais qui a un entraîneur qui tire 120-130% de tous ses joueurs. Je suis capitaine de l’équipe pendant toute la saison mais Troyes ne lève pas l’option d’achat. Je pense qu’ils craignaient que je prenne trop de pouvoir en tant que capitaine dans ce club. Alain Perrin est quelqu’un d’extraordinaire, mais il veut rester le boss. Donc je retourne à Sochaux, je résilie ma dernière année de contrat et je me retrouve au chômage. Et là, je reviens m’entraîner avec les amateurs de Metz.

M.M. : Mais ton retour à Metz ne se passe pas très bien, soyons honnêtes…

D.L. : Je m’entraîne avec Francis De Taddeo, que je remercie encore aujourd’hui. A l’époque, Metz était très mal classé. J’avais vu Joël Muller qui m’avait dit : « Didier, tu ne peux pas t’entraîner avec nous, on est dans une situation compliquée. Tu ne peux pas arriver comme ça en cours de saison», ce que je comprenais très bien. Donc j’ai continué à m’entraîner avec Francis de Taddeo, on a fait quelques matchs amicaux. J’ai fait ce qu’il fallait faire. Mon agent m’appelle et me dit qu’il m’a trouvé un club en Angleterre dont je ne citerai pas le nom. Le lendemain, je passe au stade pour récupérer mes affaires pour aller faire mon essai, et Carlo Molinari me prend en aparté et me dit que je suis l’homme de la situation. A ce moment, Joël Muller s’est fait licencier et Albert Cartier a repris l’équipe. Albert (Cartier), c’était quelqu’un avec qui j’ai joué, et qui a été entraîneur adjoint quand j’ai joué. Mais je dis à Carlo (Molinari) que je dois partir en Angleterre. Carlo me dit « Tu ne pars pas, on a besoin de toi. Je te rappelle dans l’après-midi ». Quand il me rappelle, c’est pour me dire qu’Albert Cartier veut me voir à l’entraînement pendant une semaine. Metz, c’est mon club de cœur, je dis OK. Je fais ma semaine et Carlo demande à me voir. Je vais le voir, et il me propose six mois de contrat, une pige. Encore une fois, Metz c’est mon club, j’accepte et je demande le minimum possible, par contre je demande aussi une prime par match joué. Il est d’accord et on signe le contrat. Quelques jours plus tard, conférence de presse, et là : l’enfumade. Les journalistes étaient devant moi, je me suis assis derrière la table, Albert Cartier s’est mis à côté de moi et a dit « Didier a signé pour service rendu au club, pour six mois. Merci ». Après cela, je suis allé le voir dans son bureau, et je lui ai dit qu’il pouvait me faire jouer avec la Réserve, s’il pensait que je ne pouvais pas jouer avec son équipe, pour que je garde du rythme. Albert Cartier est allé voir le président et lui a dit que je refusais d’être remplaçant dans son équipe. En six mois, j’ai joué un match en Coupe de France contre Bastia.

M.M. : J’ai une autre question pour toi. Est-ce que tu penses que si Albert Cartier n’avait pas été entraîneur de l’équipe première, le FC Metz n’aurait pas été en mauvaise situation financière ?

D.L. : Il n’était qu’entraîneur. Ce n’est pas lui qui fait les gestes. Carlo (Molinari), c’est sûrement le meilleur président qu’a eu le FC Metz, mais peut-être qu’à un moment il a lâché du lest par rapport à sa façon de faire. Peut-être qu’il a laissé plus de pouvoir à un garçon comme Albert Cartier, et que ce moment-là, ce n’était pas le bon. Mais maintenant, ce n’est pas la faute d’Albert Cartier si le club a eu des problèmes.

M.M. : Maintenant, on va parler de son successeur. Vous les anciens joueurs, on a l’impression que vous avez une relation « Je t’aime, moi non plus » avec Bernard Serin…

D.L. : Je ne connais pas ce Monsieur. Je me souviens d’une fois où on est allé à la Sollac et il en était actionnaire ou président, mais depuis, on a eu aucune relation avec lui. Peut-être la nouvelle génération d’anciens a des relations avec lui, mais notre génération, on ne le connaît pas. Monsieur Serin, c’est un chef d’entreprise. Je n’ai rien contre lui mais les anciens, Nico Braun, Zénier, Colombo, jusqu’à notre génération, on ne sert à rien. M.M. : Tu penses que le club a honte de son nouveau visage par rapport aux anciens qui ont fait l’histoire du club ? D.L. : Oui. Je ne suis pas aigri, je suis complètement sorti du monde du foot. J’ai vécu dans le monde du foot, j’y ai pris mon pied, j’en suis sorti car on ne m’a pas laissé y rester. C’est peut-être plus facile maintenant d’avoir un poste au FC Metz à la fin de sa carrière, mais à l’époque c’était moins facile. Depuis, je n’ai jamais été sollicité par le FC Metz.

Propos recueilli par Mounir M., retranscrits par Tanguy M. 

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Crédit photos : Icon Sport, AFP, MAXPPP

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