[Interview] Laurent Agouazi : « Je reviendrai vivre à Metz parce que c’est ma ville, mon club » (2/2)

Photo Chamois Niortais

Si l’on devait choisir un mot pour caractériser Laurent Agouazi, « franchise » serait certainement celui qui remporterait les suffrages. Mais en discutant bien avec celui qui a quitté son domicile de Langres à 14 ans pour rejoindre le FC Metz, on se rend rapidement à l’évidence que ce seul terme serait bien réducteur au vu de la lucidité et de la finesse d’esprit dont ce baroudeur fait preuve pour dépeindre sa carrière. Il faut dire qu’après une douzaine d’années à écumer les prés de Ligue 2, l’international algérien a appris à connaître les moindres rouages de ce championnat aussi disputé qu’imprévisible. Alors, lorsqu’il s’agit de regarder dans le rétroviseur pour se souvenir de ses années sous le maillot à la Croix de Lorraine, l’actuel milieu de terrain des Chamois Niortais n’a pas hésité à nous accorder une heure de son temps. Avec le franc-parler qu’on lui connaît. Deuxième partie de notre entretien fleuve. La première partie est à retrouver ici.

Tu quittes Boulogne en 2011 pour rejoindre Istres. Et là encore, c’est l’humain qui motive avant tout ta décision.

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A la fin, l’entraîneur n’était plus le même à Boulogne. Les gens avaient changé et je dirais simplement qu’une certaine manière de faire n’était pas correcte. Il me restait un an de contrat, donc j’ai décidé de résilier ma dernière année.

Je suis parti à Istres, le plus petit budget de Ligue 2, où il n’y avait pas de confort financier, pas de confort au niveau des infrastructures, mais il y avait un entraîneur exceptionnel : José Pasqualetti. En trois minutes, par téléphone, il a réussi à me convaincre. Il avait une certaine science du jeu. Il avait l’envie de jouer, d’avoir la possession, de toujours attaquer.

Ce n’était pas évident car l’équipe était dernière de Ligue 2 après 4 journées, avec zéro point au compteur. Donc je me mettais en danger. Et à l’arrivée, on a fait une saison exceptionnelle. J’ai trouvé là-bas un groupe à l’image de celui de Metz, époque Gambardella et titre de champion de L2. Ce fut aussi peut-être l’une de mes meilleures saisons sur le plan individuel.

On a joué la montée jusqu’à quatre journées de la fin, pour finalement terminer 8ème. A mon sens, les valeurs de respect et de combativité y sont pour beaucoup dans ce résultat. Après, il y avait aussi de la qualité dans ce groupe, avec des joueurs comme Julian Palmieri, Nassim Akrour, Ryad Nouri, Joris Sainati… Mais on avait un état d’esprit exceptionnel, avec un coach et un coach adjoint, Nicolas Usaï, qui font partie des meilleurs entraîneurs que j’ai eu dans ma carrière.

Encore aujourd’hui, je pense à ce penalty. Il est toujours dans ma tête, il fera toujours partie de ma carrière. Cela aurait pu changer beaucoup de choses.

Pourtant, tu ne restes qu’une saison à Istres. Car à l’été 2012, le Stade Malherbe de Caen se rapproche de toi. Avec les ambitions que l’on connaît.

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Je voulais rester, mais malheureusement pour Istres, j’ai reçu deux offres très intéressantes pour ma famille et moi : Nantes et Caen. Et j’ai choisi Caen, qui m’offrait un contrat de deux ans. C’est un club qui ressemblait beaucoup au FC Metz par sa structuration. Il y avait deux anciens Messins, Grégory Proment et Grégory Leca. J’ai pris la température avec eux.

C’est Alain Caveglia, le directeur sportif, qui m’a appelé. Il me voulait absolument. Il voulait que je devienne capitaine, un leader sur le terrain. Ça s’est plutôt bien passé la première année. Mais malheureusement, j’ai eu une grave blessure au genou (une luxation de la rotule, ndlr) qui m’a freiné, et qui ne m’a pas permis de finir ce que j’avais commencé là-bas.

Comme à Metz quelques années plus tôt, vous avez justement manqué la montée de peu. Mais là, ça s’est joué sur un pénalty raté…

Par Laurent Agouazi. Ça a été très difficile à vivre. J’avais une responsabilité dans l’équipe. J’étais vice-capitaine. J’étais aussi un leader technique par mon jeu, mais aussi dans le vestiaire. J’ai été absent pendant quatre mois. L’équipe n’était pas très bien et on arrive à enchaîner deux victoires d’affilée, notamment à Monaco, qui joue aussi la montée. On joue face à Nantes, qui venait de faire un faux-pas et qui était juste devant nous.

En cas de victoire, on peut leur passer devant. J’étais le troisième tireur sur la liste, mais les deux premiers, notamment Mathieu Duhamel, n’étaient pas sur le terrain. On obtient un penalty en première période. Il y avait 0-0. J’ai pris mes responsabilités et j’ai changé de côté au dernier moment. J’ai tiré côté ouvert. Rémy Riou l’arrête.

Au final, on perd 1-0, ce qui fait que l’on n’a plus notre destin entre nos mains. Je me rappelle avoir versé quelques larmes, car j’avais un engagement moral vis-à-vis de mes coéquipiers, mais aussi du club, qui m’avait accordé sa confiance. Je ne pense pas que la montée se joue à ce moment-là, mais ça reste un détail énormissime. Je me suis excusé auprès des partenaires, du club, de mes coéquipiers, car quand on échoue, il faut assumer.

Dans la foulée, une demi-heure après, j’apprends que je suis sélectionné pour la première fois en équipe d’Algérie pour disputer les éliminatoires de la Coupe du monde. Ce fut une petite consolation, un réconfort, même si ça a été très dur pendant quelques jours.

Mais pour tout vous dire, je pense encore aujourd’hui à ce penalty. Pas tout le temps, mais j’y pense. Ce penalty, il est toujours dans ma tête, il fera toujours partie de ma carrière. Cela aurait pu changer beaucoup de choses, mais ça fait partie du football, ça fait partie de la vie. Mais je regrette plus ma blessure que le penalty, car cette blessure m’a indéniablement freiné dans ma carrière.

Après une nouvelle saison à Caen, tu décides de partir à l’étranger en 2014. Malgré quelques propositions en France, tu débarques à l’Atromitos, modeste club grec situé dans la banlieue d’Athènes. Pourquoi ce choix ?

A la base, je devais signer à Sochaux. Mais il s’est passé quelque chose que j’estime être grave. J’ai passé la visite médicale avec succès, mon numéro de maillot était prêt, mais le club apprend qu’il sera peut-être repêché en Ligue 1 vis-à-vis de la situation instable du RC Lens. Du coup, ma signature est mise en stand-by. J’ai trouvé cela très irrespectueux de leur part, car mon contrat de deux ans, plus un an supplémentaire en cas de montée, était prêt.

Quand on ne respecte pas les valeurs fondamentales du sport, on le paie un jour. Il suffit de voir où en est Sochaux aujourd’hui. Comme j’accorde beaucoup d’importance au respect et aux valeurs, j’ai décidé de quitter la France, car c’était la meilleure solution pour moi.

“Vu de l’extérieur, Marco Simone dégage peut-être une image différente. Mais je sais qu’il réussira en tant que coach, car c’est une bonne personne. Et il y en a très peu dans ce milieu.”

Qu’as-tu découvert en Grèce ?

Une autre culture. Une autre vision de ce sport. Des problèmes de paiement aussi, mais ça fait partie de la vie. Je suis rentré en France ensuite, pour la famille. Mais malgré tout, ça reste une bonne expérience, car j’ai beaucoup appris là-bas.

Et c’est un coup de fil d’un certain Marco Simone qui t’a convaincu de rentrer…

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C’est ça. Il m’a appelé et comme avec José Pasqualetti, au bout de quelques minutes, ça a été très clair dans ma tête. Il est devenu quelqu’un de très proche pour moi. Je ne dirais pas un ami, mais presque. Cet appel a été prépondérant. Car Marco est quelqu’un qui a une certaine culture tactique. Il a la culture des grands clubs, de la souffrance. C’est un Italien. Quand je parle de lui, je vois la Juventus d’aujourd’hui : des valeurs exceptionnelles et de la qualité.

Aussi, il a fait quelque chose d’unique pour moi. Le jour du décès de ma grand-mère maternelle, il m’a dit : « je ne veux pas te voir à l’entraînement pendant une semaine, et quand tu reviendras, ce sera moi qui te ramènerai auprès de ta famille ». J’ai trouvé ça exceptionnel car dans ce milieu-là, il n’y a pas beaucoup de gens qui font autant preuve d’humanité. Vu de l’extérieur, il dégage peut-être une image différente, mais je sais qu’il réussira en tant que coach, car c’est une bonne personne. Et il y en a très peu dans ce milieu.

Et son départ en 2016 a coïncidé avec le tiens.

C’était clair pour moi. Il partait, je partais. Je n’étais pas en bons termes avec le directeur sportif et le président. Je préfère travailler avec des gens respectueux, qui ont des valeurs, que de travailler avec l’inverse. Malgré le fait qu’il y ait l’argent qui rentre en compte, ce n’est pas cela qui fait avancer dans la vie.

Photo Chamois Niortais

Aujourd’hui, tu es à Niort depuis deux saisons. Vous avez terminé 15ème du dernier exercice de L2, avec 42 points. Mission accomplie ?

Quand vous avez le 13ème budget du championnat et que vous terminez 15ème, et l’année précédente 10ème, on peut dire que la première année, c’est presque un miracle, et la seconde, ça rentre dans l’ordre des choses.

C’était l’objectif à atteindre car aujourd’hui, le club n’a pas de structure. Le stade est vétuste. Il faut appeler un chat un chat. On arrive à faire des choses très prometteuses malgré beaucoup de difficultés.

Dans les Deux-Sèvres, tu es avec deux anciens Messins, Thibaut Vion et Jeremy Choplin, d’époques différentes de la tienne. Ça vous arrive de parler du club ?

Tout le temps ! On partage le vestiaire avec deux anciens Nancéiens, Jonathan Brison et Romain Grange, même si ce dernier est parti il y a quelques mois. Et on se chambre beaucoup ! Pour nous, la Lorraine est grenat, mais pour eux, elle est blanche et rouge. C’est de bonne guerre, car ce sont de bons mecs.

Mais avec Jérémy et Thibaut, on a un groupe WhatsApp entre nous sur lequel on suit l’actualité du club. On a suivi la relégation de la réserve, qui descend en DH, l’actu de l’équipe féminine, qui monte… On regarde aussi les matchs de temps en temps, quand on fait des repas entre nous. On a cette culture là, et Jérémy l’a aussi. Comme quoi, même ceux qui ne sont pas formés au club finissent par l’avoir !

“C’est sûr, je reviendrai vivre à Metz, parce que c’est ma ville, mon club. C’est lui qui m’a permis de faire carrière. Je lui dois tout.”

D’ailleurs, comment as-tu vécu la saison très difficile du club ?

Je l’ai suivie de près car j’ai encore des amis au club, donc c’était très difficile. J’y ai cru jusqu’au bout, je pensais vraiment qu’ils allaient y arriver, même lors des dernières journées. Mais je pense que l’égalisation de Caen, lors de la 34ème journée, leur a fait du mal. S’il gagnent contre eux, ils auraient pu réussir à faire quelque chose.

Bref, il faut apprendre de ses erreurs, mais le club l’a déjà fait par le passé, lorsqu’il était tombé en National et qu’il s’était relevé. Donc je pense qu’il y a des gens compétents au club, et qu’ils vont réussir à redresser la barre.

Pour moi, il faut prendre le temps d’analyser les raisons qui ont fait que ça a fonctionné les années précédentes, et pourquoi ça n’a pas fonctionné cette saison. Après, on trouve toujours des coupables. Mais moi, je préfère trouver des solutions. En tout cas, je souhaite au FC Metz de vite se relever et de les retrouver au plus vite en Ligue 1.

Tu encore des contacts avec des anciens joueurs du club ?

Je suis récemment allé à Metz, et j’ai revu Greg Leca et Stéphane Borbiconi. Quand je reviens, je passe souvent au stade. J’ai revu Lolo l’intendant, Sylvain Marchal ou Christophe Marichez. Après, j’ai toujours des contacts avec Franck Béria, Guillaume Rippert, Sébastien Renouard, Manu Adebayor ou Ludovic Butelle. On s’écrit, on s’appelle, on se voit… Et la dernière fois qu’on s’est revus tous ensemble, c’était lors de mon mariage l’été dernier à Metz.

Photo FC Metz

Tu es aussi revenu plusieurs fois à Saint-Symphorien avec un autre maillot, celui de Boulogne, mais aussi celui d’Istres, de Caen, de Tours… Ça fait quoi de revenir sur ce terrain, là où tout a commencé ?

C’est une émotion particulière. Je me rappellerai toujours de la dernière fois, avec Tours. Metz doit impérativement l’emporter pour espérer monter en Ligue 1. On mène 1-0, mais ils réussissent à renverser la vapeur et à l’emporter 2-1. Il y avait une ambiance exceptionnelle, comme j’ai pu le vivre l’année du titre.

Avant le match, le club m’avait remis un maillot à mon nom, et quand je suis parti, j’ai eu des applaudissements. Sincèrement, ça m’a fait chaud au coeur. D’autant qu’à la sortie, un gamin m’a demandé mon maillot. Ça m’a touché car dix ans après, malgré les hauts et les bas, les montées, les descentes, un départ avorté, on se souvenait de moi.

Dab aérien – Photo FC Metz

Moi, je suis un joueur moyen, qui a fait les 3/4 de sa carrière dans de bons clubs de Ligue 2. J’ai toujours essayé de donner le maximum de moi-même. Dans tous les clubs où je suis passé et encore plus au FC Metz, je n’ai jamais triché.

D’ailleurs, il y a un coach qui m’a dit un jour : « avant un match, on ne décide pas si l’on va être bon ou pas bon. En revanche, on peut décider que l’on va tout donner ». C’est Yvon Pouliquen qui m’a dit cela. Ça me restera toute ma vie. Et c’est aussi ce que j’essayerais d’inculquer à mes joueurs, car j’ai la volonté de devenir entraîneur.

Mais pour revenir à Metz, c’est toujours particulier ici. C’est sûr, je reviendrai y vivre parce que c’est ma ville, mon club. C’est lui qui m’a permis de faire carrière. Je lui dois tout. Et si un jour je peux le remercier de quelque manière que ce soit, je le ferais. La preuve, je suis revenu me marier ici alors que j’étais parti depuis dix ans. Mais j’ai toujours ma maison à Metz, et j’ai des projets de reconversion ici.

“J’ai la chance d’avoir côtoyé des entraîneurs de haut niveau et ces entraineurs m’ont dit que j’étais fait pour entraîner”

Tu as aujourd’hui 34 ans. Combien d’années penses-tu pouvoir continuer au plus haut niveau ?

Il me reste encore un an de contrat avec les Chamois, et il y a de très grandes chances que je l’honore. Après, on ne sait pas ce qui peut arriver dans le football. J’espère ensuite pouvoir faire au moins une année au haut niveau. Deux ans, ce serait encore mieux. Mais il faudra voir physiquement comment je me sens. Cette année, j’ai fait 30 matchs sur 38. J’en ai raté 4 pour suspension et 4 pour des petits soucis musculaires. 30 matchs à 34 ans, tous titulaire, c’est pas mal. Maintenant, je ne veux pas calculer. Je veux faire ma saison, aider l’équipe sur et en dehors du terrain. Et on verra ce qu’il se passe ensuite. Mais j’ai déjà préparé l’après.

Justement, quels sont tes projets d’après-carrière ?

On la prépare depuis un an et demi déjà. Je vais ouvrir une maison médicale à Marly, sur un plateau de 600m2, réunissant de nombreux spécialistes comme des kinés, des ostéos, des infirmières, des sage-femmes, ou des médecins généralistes. C’est un projet familial, qui s’est fait naturellement, avec des partenaires locaux. Ça me tenait à coeur de travailler avec des gens du coin, et nous sommes aujourd’hui dans la phase de finalisation, avec pour objectif d’ouvrir d’ici octobre, voire décembre grand maximum.

Après, sur le plan individuel, je compte rester dans le milieu du foot, car j’aime ce sport. J’aime entraîner. J’ai la chance d’avoir côtoyé des entraîneurs de haut niveau et ces entraineurs m’ont dit que j’étais fait pour entraîner. Il y a des joueurs que je côtoie depuis des années qui me le disent aussi. Sans prétention aucune, depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours eu un rôle de leader. Et je tend donc vers cette voie-là. J’espère commencer à passer les diplômes en début d’année prochaine et j’ai de grandes ambitions par rapport à cela.

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