Si l’on devait choisir un mot pour caractériser Laurent Agouazi, « franchise » serait certainement celui qui remporterait les suffrages. Mais en discutant bien avec celui qui a quitté son domicile de Langres à 14 ans pour rejoindre le FC Metz, on se rend rapidement à l’évidence que ce seul terme serait bien réducteur au vu de la lucidité et de la finesse d’esprit dont ce baroudeur fait preuve pour dépeindre sa carrière. Il faut dire qu’après une douzaine d’années à écumer les prés de Ligue 2, l’international algérien a appris à connaître les moindres rouages de ce championnat aussi disputé qu’imprévisible. Alors, lorsqu’il s’agit de regarder dans le rétroviseur pour se souvenir de ses années sous le maillot à la Croix de Lorraine, l’actuel milieu de terrain des Chamois Niortais n’a pas hésité à nous accorder une heure de son temps. Avec le franc-parler qu’on lui connaît. Entretien en deux actes.
Laurent, le grand public te découvre en 2001, avec les U17 du FC Metz, lors de l’épopée du club en Coupe Gambardella, que vous remportez après avoir battu Caen en finale 2-0, aux côtés de certains Ludovic Obraniak, Franck Béria ou Ludovic Butelle. Quels souvenirs gardes-tu de cette aventure ?
Pour moi, c’est fut l’un des moments les plus marquants de ma carrière, parce que ça validait mon parcours depuis mon arrivée à 14 ans à Metz.
Au-delà de la victoire, ce fut une aventure humaine exceptionnelle, avec un groupe de joueurs qui s’est retrouvé quelques années plus tard champion de Ligue 2, avec Pascal Janin, un coach de qualité, et des formateurs comme Francis De Taddeo qui ont toujours été présents. Et en plus, nous avons remporté le championnat de France U17 la même année, ce qui n’était jamais arrivé.
A ce moment-là, est-ce que tu te dis déjà que le fait d’être un artisan de cette victoire allait t’ouvrir les portes de l’équipe pro ?
Non, parce qu’il était trop tôt pour le penser. Mais on commençait déjà à sentir les prémices d’une belle génération. Souvent, quand vous avez une génération qui gagne, elle arrive à maturation plus tôt que les autres. Il y a des joueurs qui ont signé pro un an avant moi. Moi, j’ai dû passer un an de plus avec la réserve. Mais de là à dire que j’allais faire carrière, c’était trop tôt.
« Le prêt à Besançon m’a permis de devenir un homme »
Après cette année avec l’équipe réserve, tu pars en prêt à Besançon, en National, où tu réalises une saison pleine, avec 34 matchs au compteur pour 6 buts marqués et 10 passes décisives. Comment vis-tu cette période de post-formation ?
J’étais parvenu à intégrer le groupe pro de Jean Fernandez en fin de saison précédente. Puis j’ai fait la reprise avec les pros. Mais j’ai senti que je n’aurais pas le temps de jeu que je souhaitais à l’époque. J’ai donc discuté avec lui, ainsi qu’avec Francis De Taddeo.
Je voulais jouer au-dessus du CFA. Je voulais me mettre en danger, voir de quoi j’étais capable. J’avais l’opportunité de rejoindre La Louvière, en Belgique, avec Albert Cartier à sa tête. Mais à l’arrivée, j’ai opté pour Besançon. Un club qui m’a accueilli à bras ouverts, avec Stéphane Paille, Bruno Génésio et Hervé Genet.
A titre personnel, ce fut une saison très bénéfique, car je suis devenu un homme. J’ai pu faire ce que j’avais envie, voir que j’étais capable de jouer à ce niveau-là, mais surtout, que je pouvais jouer un cran au-dessus, parce que j’ai commencé à avoir de nombreux contacts après cette saison-là.
Malgré ces contacts, tu décides de rester à Metz la saison suivante. Qu’est-ce qui a pesé dans ta décision ?
L’amour que j’ai pour ce club. Je l’ai toujours eu. Et je l’aurais toujours. C’est ce club qui m’a tout donné, qui m’a offert ma carrière. Sans me dénigrer, je suis un joueur moyen, par rapport à tout ce qui entoure le football aujourd’hui. Mais je me donne toujours à fond, pour exister.
J’ai beaucoup de respect pour ce club et je voulais vraiment débuter à Metz. Quand ils m’ont proposé un contrat, l’aspect financier m’importait peu. Je dois tout à ce club, que ce soit sportivement ou humainement. C’est mon club de coeur, et ça le restera à vie.
« L’échec de 2005/2006 ? Tant que l’individu est au-dessus de l’équipe, on ne peut pas réussir »
Bien t’en as pris de rester en tout cas, car Joël Muller t’intègre de suite au groupe pro et tu effectues tes débuts le 10 septembre 2005 contre Lille, à Saint-Symphorien. Que ressens-tu à cet instant précis ?
Disons que je m’étais mis en condition pour aborder ce moment. J’aurais dû débuter contre Strasbourg ou Le Mans quelques semaines auparavant. J’avais travaillé dans l’équipe type toute la semaine, mais le coach avait finalement changé de plan à la dernière minute.
Et le moment venu, c’était beaucoup d’émotions. J’avais de nombreuses images qui circulaient dans ma tête. Je pensais à ma formation, à ma famille, à mes éducateurs qui m’ont toujours aidés, mais aussi à mon passage à Besançon qui m’a forgé.
Mais bon, les premières fois, ce n’est pas forcément les meilleures. Même si j’avais fait un match correct, on perd 2-1 et quelques semaines après, je me blesse. Donc le souvenir reste mitigé, même si le vivre sur le moment présent reste quelque chose d’exceptionnel.
Malheureusement, vous connaissez une saison galère et le club descend en Ligue 2. Que vous a-t-il manqué pour vous maintenir ?
Je pense qu’à cette époque, on ne formait pas un groupe. On formait une somme d’individualités, mais pas un groupe. On n’a jamais réussi à faire corps tous ensemble, avec ce maillot, et je pense que c’est tout logiquement qu’on ne s’est pas maintenus.
Tant que l’individu est au-dessus de l’équipe, on ne peut pas réussir. Même si on n’avait pas le pire effectif, avec certaines valeurs, la donne aurait été différente…
« En 2006/2007, il n’y avait qu’un seul mot d’ordre : souffrir ensemble. Même dans les matchs où on n’était pas bons, on savait que l’on pouvait marquer »
La saison suivante, Francis De Taddeo reprend les rênes de l’équipe première avec pour consigne de reconstruire avec les jeunes, dont tu fais partie. Et là, vous réalisez une saison que tous les clubs rêveraient de faire…
J’étais en fin de contrat. J’avais deux, trois sollicitations extérieures, mais rien de concret. Quand j’ai su que Francis reprenait l’équipe, nous avons eu une discussion franche tous les deux, et j’ai choisi de continuer avec lui.
C’est un peu comme mon deuxième papa. C’est lui qui m’a recruté, qui m’a fait venir de Langres, d’où je suis originaire, à 14 ans. Il m’a proposé un contrat de trois ans, ce qui relevait d’une grande marque de confiance. Il m’a expliqué son projet, et on a réussi à l’appliquer à la lettre.
La saison fut exceptionnelle. On est toujours la meilleure défense de l’histoire du championnat de Ligue 2. Nous avions un groupe de joueurs qui se connaissait depuis très jeunes, qui avait gagné la Gambardella ensemble, avec de très bons apports extérieurs, comme Pape Malik Diop, Julien François ou Julien Cardy.
On avait cet esprit d’équipe qui faisait que rien ne pouvait nous arriver. Il n’y avait qu’une équipe qui représentait un club, un maillot. On a fait quelque chose d’exceptionnel car on est parti avec un groupe de joueurs qui n’avait pas d’expérience à ce niveau.
Encore bravo au coach, qui a su fédérer tout le monde.
Il y a eu des moments de doute ou vous aviez une confiance qui a fait que vous vous sentiez presque invincibles ?
Non, il n’y a pas eu de doute, car on était sûrs de nous, dans le sens où l’on savait ce que l’on devait faire.
On était pour la plupart des joueurs moyens, avec quelques joueurs au-dessus du lot comme Ludo (Obraniak), qui est parti au mercato hivernal à Lille, un duo d’attaquants exceptionnel et une charnière centrale très solide. Derrière, notre gardien était expérimenté et nos milieux couraient partout.
Il n’y avait qu’un seul mot d’ordre : souffrir ensemble. Même dans les matchs où on n’était pas bons, on savait que l’on pouvait marquer car on jouait en équipe, et ça, c’est la plus belle des récompenses lorsque vous êtes joueur de football.
Certains gardent aussi l’image de toi chantant au milieu de la Génération Grenat. On sent que tu accordes une certaine importance aux supporters.
J’étais suspendu le dernier match, et la GG m’avait invité à assister à la rencontre depuis le kop. J’ai accepté. Mais je précise que si la Horda l’avait fait, j’aurais aussi dit « oui ».
Tous les supporters ont été derrière nous durant la saison, ils nous ont suivi partout en France, ils étaient aussi là pendant les moments difficiles, donc c’était la moindre des choses qu’un joueur leur rende la pareille. Je l’ai fait avec plaisir. Et à la fin, on a tous communié ensemble.
C’était un super souvenir, car dès le centre de formation, on était avec eux dans les tribunes. On avait déjà cette âme de supporters car on chantait avec le kop. Je me rappelle des buts de Bruno Rodriguez, de Fred Meyrieu ou d’Eric Hassli. Ça reste des moments exceptionnels et marquants quand on est jeune.
La saison suivante, l’euphorie retombe. Et c’est malheureusement tout le contraire de la saison précédente qui se passe. 6 défaites sur vos 8 premiers matchs, une première victoire qui n’intervient qu’à la 9ème journée. Et au final, vous finissez bons derniers avec 24 points au compteur. Avec du recul, qu’est-ce qui a fait que vous n’avez pas su recréer la même dynamique que la saison passée ?
Déjà, on a perdu des joueurs cadres. Franck Béria, qui était un leader de vestiaire et sur le terrain, est parti à Lille. Julien Cardy s’est gravement blessé. Et Ludo Obraniak est parti quelques mois auparavant. Je pense aussi qu’on a manqué le mercato estival. Car on était une équipe de Ligue 2, mais pas de Ligue 1. Et je parle aussi pour moi.
Avec du recul, je pense qu’on aurait peut-être dû prendre des joueurs d’expérience pour nous encadrer, nous guider. Il y avait de la jeunesse et de la fougue, mais il manquait de l’expérience. Et aussi de la qualité, car il n’y avait pas beaucoup de joueurs avec des matchs de Ligue 1 dans le jambes.
On le voit encore aujourd’hui, quand on joue avec des joueurs qui ont 100/150 matchs de Ligue 1, ça aide à débuter une saison. Après, a-t-on donné tous les pouvoirs à Francis ? Je ne saurais le dire, je n’étais qu’un joueur.
Peut-être aussi que ce qui a fait notre force la saison précédente est devenu une faiblesse. Nous n’étions plus une équipe. Avec le succès, on s’est peut-être dit que chacun valait peut-être mieux, et à l’arrivée, on s’est trompé aussi là-dessus. Il ne faut pas toujours mettre la faute sur le club.
Nous aussi, les joueurs, nous avons une grande responsabilité, et on n’a pas su répondre aux attentes du club et des supporters cette saison-là.
L’été suivant, tu étais proche de signer au Mans, mais tu as préféré rester à Metz. Là encore, c’est l’amour du maillot qui a parlé ?
Mon agent de l’époque voulait à tout prix me faire partir. Mais de façon assez malveillante. J’étais jeune, j’ai donc suivi ses conseils. Je n’étais pas loin de signer au Mans, mais la signature a traîné en longueur, et a fini par être abandonnée. C’était un peu difficile à vivre parce que les supporters ne comprenaient pas pourquoi je voulais partir.
Et après, tout est rentré dans l’ordre. J’ai pu faire une bonne saison en Ligue 2, et malheureusement, on a terminé 4ème. J’aurais aimé remonter avec ce club en Ligue 1, car il méritait et il mérite toujours d’y figurer, histoire de terminer sur une bonne note.
« Mon départ à Boulogne ? Je voulais voir si j’étais capable de confirmer au niveau supérieur »
Après 111 matchs et 10 buts sous le maillot grenat, tu pars à Boulogne, pour un nouveau défi en Ligue 1, à l’aube de la saison 2009/2010. Un nouveau club dans lequel tu resteras deux ans.
Je suis parti parce que j’étais en fin de contrat. Je voulais jouer en Ligue 1, car j’avais un goût d’inachevé vis-à-vis de la saison précédente. Je voulais voir si j’étais capable de confirmer au niveau supérieur. Boulogne s’est présenté, et s’ils n’avaient pas été en Ligue 1, il y aurait eu de fortes chances que je reste à Metz. Je savais que Carlo Molinari allait partir aussi. C’était la fin d’un chapitre. Il fallait laisser la place à d’autres personnes, car on avait échoué dans la quête de la remontée immédiate.
Ma première saison en Ligue 1 s’est très bien passée sur la plan individuel. Mais moins sur le plan collectif. Car là aussi, on échoue à se maintenir à trois journées de la fin, suite à une défaite 1-0 face à Saint-Etienne, avec Christophe Galtier qui venait de reprendre l’équipe à la place d’Alain Perrin. Mais ça aura été deux ans de qualité, car c’est un club familial. Et sur le plan humain aussi, cette aventure fut intéressante, car ma famille et moi nous y sommes plu.
Retrouvez très prochainement la seconde partie de l’entretien, consacrée à la suite de sa carrière…